Tu vois, tout allait bien, une grossesse tranquille pour
bébé, un bébé un peu grand apparemment mais une parfaite santé pour lui et
maman
Une date prévue d’accouchement (DPA) incertaine
Une radio du bassin, très rassurante, mesures normales et
sans aucune raison de s’inquiéter
Une petite maternité de campagne, (env. 300 accouchements
par an)
Une prépa naissance idyllique, pour la première une chance
folle car une SF investie, très branchée physio (c’est peut-être un pléonasme)
et relaxation.
On est un petit groupe bien sympa de prépa naissance, on
fait de la relaxation, on aime ce Rv « de l’endroit où vous vous sentez
bien, à un moment où vous vous sentez bien »
Notre SF nous parle de tout, la dilatation, le travail, la
péridurale, l’allaitement…
Un jour elle parle de la césarienne, parce qu’il faut bien,
parce que statistiquement, au moins 2 filles de notre groupe y passeront (on
est 13)
J’écoute attentivement (j’aime maîtriser l’inconnu) mais je
ne me sens pas concernée. Aucune de nous ne se sent concernée. Primipares pour
la plupart.
Je sais tout ce qu’il se passera si cela arrive. Mais
voyons, ça n’arrivera pas. Il n’y a aucune raison. Bébé va bien et moi aussi.
Enfin, j’ai des problèmes qui font que je suis arrêtée depuis quelques mois,
mais rien à voir avec bébé et sa piscine intérieure, ni son poids prévu, ni la
taille de son fémur ou mon tour de taille à moi.
Jour de la DPA, rien en vue. Cette petite maternité ne s’affole pas,
j’adore l’idée, « on attend jusqu’à 8 jours ». je trouve ça chouette
de laisser faire la nature. A l’époque, je n’y connais rien en accouchement
physio, je n’ai pas appris à gérer la douleur, je suis dans le circuit
classique, dans les connaissances classiques (donc en gros je ne connais rien
d’autre que l’accouchement médicalisé avec péridurale et probable épisio même
si non -souhaitée), mais je tiens beaucoup à ce que l’on ne force pas les
choses, et que bébé vienne « quand il sera prêt ».
J+2 je reviens pour un check-up (passons la liste des actes
plus ou moins justifiés qui font que vous passez votre temps les jambes
écartées; (parfois ça s'appelle même des violences obstéricales, enfin bref, autre sujet qui m'importe). Rien
J+4 rebelotte
J+6 ? toujours rien. Je ne m’affole pas, je me dis que
bb n’est pas prêt. Et de toute façon, j’ai apporté ma courbe de température (on a vraiment eu BEAUCOUP de mal à avoir ce bébé), il
y a un truc qui cloche avec les mesures et la DPA qu’ils ont (re)calculée. Je pense pas être après terme.
J+7, j’arrive parce qu’on va me poser un gel (un tampon ?
impossible de me souvenir, je confonds peut-être avec la 2ème fois).
Bref un truc doux et pas trop invasif pour essayer de déclencher les choses en
douceur.
Je marche dans le parc, avec mon homme, on se dit que c’est
pour aujourd’hui, mais sincèrement, je ne sens rien de particulier. Et c’est
donc sans surprise que vers midi on m’annonce que mon col est toujours long,
fermé, dur (un truc comme ça). J’ai ma chambre car ça y est c’est officiel
depuis ce matin, je ne ressortirai pas d’ici sans notre bébé. J’ai sommeil,
j’ai mal dormi la nuit précédente, et puis qu’est-ce qu’il y a d’autre à faire,
j’ai déjà marché deux heures.. Et puis j’ai un peu mal. Bref, je fais la sieste.
Je me réveille à 16h, j’ai mal au bas-ventre, j’émerge
lentement et me lève, lorsqu’un monsieur vient me voir, me parler. Me parler de
la télé ! Est-ce que je veux la télé, comment je dois m’inscrire, où je
dois payer…
Je me souviendrai toute ma vie de ce moment où me parlant de
la télé dont je me fous royalement (nous n’avons pas pris la télé, nous étions
là pour voir notre bébé), j’ai senti soudain un gros truc couler et j’ai
entendu « splash »…
J’ai perdu les eaux !
Je regarde par terre entre mes pieds, c’est trempé il y en a
partout, si je bouge (si j’arrive à bouger) je vais glisser et me vautrer, … la
sonnette est trop loin, et le monsieur de la télé est imperturbable… Il en a
sûrement vu d’autres, mais il pourrait m’aider, non ? Je ne me souviens
plus de la suite. Je sais juste que je suis en jupe, en tongs, et que j'ai peur de bouger un pied et glisser et m'écraser par terre. Trou noir...
Mon homme est revenu, le travail avait commencé, mais moi à
l’époque j’ai été bête, pas préparée, j’avais un peu mal alors tout ce que j’ai
trouvé à faire c’est me coucher, comme quand j’avais mes règles, couchée en
position fœtale pour apaiser la douleur..…
Aux environs de 19h, la SF m’examine, évidemment rien n’a
bougé ni changé, elle nous dit qu’on va laisser passer la nuit, que ça va
sûrement évoluer au fil des heures et que demain si besoin on fera d’autres
choses pour aider (un vrai déclenchement avec perf, quoi). Sur ces paroles
rassurantes, Clyde Chéwi, fatigué lui aussi par tous ces jours de suivi
après-terme, rentre à la maison pour une douche, un dîner, et un début de nuit
(qui sait combien de temps il dormira , après tout). On nous a dit
clairement qu’on avait le temps.
Moins d’une heure s’est écoulé, il est 20h et des brouettes,
la SF de relève arrive. On l’avait déjà rencontrée, elle est avec un monsieur
qui se présente, vieux aux cheveux blancs, l’anesthésiste .
« Madame, on doit vous amener au bloc, on va vous faire
une césarienne. Votre travail a commencé, on ne peut plus attendre, je suis
l’anesthésiste, je vous amène au bloc »
WHHHHAAAAT ????? attendez il y a une demi-heure on
avait toute la nuit, et maintenant je dois avoir une césarienne en urgence !
Je suis sous le choc, mon homme n’est pas là, il va être sur
le cul. On me donne un téléphone pour que je puisse l’appeler et lui dire de
revenir vite (heureusement qu’il habite à moins de 15 minutes !), je leur
demande d’attendre qu’il soit là, je ne peux pas imaginer qu’il ne soit pas là
quand je pars, je ne comprends pas ce qui se passe.
Aucune explication à cette « urgence », notre
réconfort est de nous dire que dans moins d’une heure, notre petit garçon sera
là. On est presque contents. On n’a rien compris mais on est contents,
impatients. Je vais le voir super vite et sans avoir mal !
On me prépare, on me met dans un brancard, mon homme a bien
pris sa chemise, je suis excitée mais aussi apeurée, je vais être seule
Je pars seule dans les couloirs jusqu’au bloc, sur mon
brancard, je compte les néons et les angles.
Il fait très froid dans le bloc. Il y a une lumière
aveuglante, alors qu’il est plus de 21h. Je n’avais pas visité le bloc. J’ai
des contractions, elles font mal. L’anesthésiste me dit de ne surtout pas
bouger pendant la pose de la péridurale. Attention, il va piquer. J’ai une
contraction. Je respire, mais je suis pliée en deux en avant, je ne peux pas
respirer, je ne peux pas gérer la douleur, la contraction. L’infirmière me
prend presque dans ses bras mais cela n’apaise rien, j’ai une contraction,
bordel ! Et je suis seule, et on va m’ouvrir le ventre, et je ne vais pas
avoir mon bébé dans les bras.
On me pose sur la table d’opération. Je me souviens d’une
planche en bois. Pas large.
J’ai un champ opératoire qui cache tout. Les deux bras
attachés en croix. J’ai froid, je tremble. L’anesthésiste me caresse les
cheveux. Mais je m’en fous, j’ai froid quand même, et j’ai peur, et je suis
triste, je me sens seule, si seule. Je ne vois rien. Je ne suis plus rien. Je
ne suis pas en train d’accoucher, je suis en train d’être opérée. Je ne suis plus qu'un ventre.
L’obstétricien fait son entrée, il ne me dit pas bonjour. Il
parle à ses collègues. Je sais qui c’est car c’est celui de garde, mais je
pense qu’il ne voit que mon utérus. D'ailleurs je n'ai pas vu son visage, il n'a pas pris la peine de passer la tête derrière le champ opératoire. Sans doute trop pressé. Merveilleux.
Tandis qu’il m’ouvre, fait son job, il raconte qu’il a fait
(ou va faire) une partie de golf, qu’il adore ça (c’est absolument véridique).
Il dit aussi qu’il a eu une grosse journée et qu’il n’a même pas eu le temps de
manger, qu’il a faim, qu’il est pressé que ça se termine et de pouvoir se
reposer un peu.
Enchantée monsieur, moi je n’ai rien mangé depuis la veille au soir, et il n’était surtout pas prévu que je sois là, et je ne vous connais même pas et vous avez les mains dans mon ventre.
Enchantée monsieur, moi je n’ai rien mangé depuis la veille au soir, et il n’était surtout pas prévu que je sois là, et je ne vous connais même pas et vous avez les mains dans mon ventre.
Ils ont fini leur affaire, il sort le bébé en disant qu’il
est super gros, un peu comme moi (il ne l’a pas dit comme ça mais ça y
ressemblait). J’entends crier mon bébé.
On me l’apporte. Tout près de mon visage. Trop près. Je ne
verrai que peu, mais je verrai l’essentiel : le premier regard. Mon fils,
un seul œil ouvert, plongé dans le mien.
J’ai les bras attachés mon fils, mon bébé, je suis
prisonnière, ligotée, ils ne me laisseront pas te toucher, tu as juste ton
visage tout près du mien, et tes yeux, plantés dans les miens. Souvenir à vie.
On t’enlève déjà.
Je ne me souviens plus du reste, trop émue, heureuse et vide
à la fois. Bouleversée.
L’obstétricien qui dit que je suis trop large pour la
planche, au moment où ils me rebasculent sur le brancard.
Docteur, c’est définitif, tu es un connard.
La SF me glisse à l’oreille que comme c’est la nuit, que
c’est calme et qu’il n’y a presque personne, je vais vite retourner dans ma
chambre. De fait, je ne passe pas en salle de réveil. Une bien belle nouvelle
dans cette naissance volée.
Mon brancard roule dans les couloirs, il fait bien nuit, le
brancardier est sympa. Je passe le dernier angle, j’arrive devant le bureau des
SF. Je vois alors Papa Clyde assis, chemise ouverte, BB Titi recouvert d’un
drap et collé contre lui. Ils font du peau à peau. Ce peau à peau promis.
J’éclate en sanglots devant cette image , cette scène. L’amour, la rencontre.
Je ne suis même pas jalouse tellement c’est beau. On se sourit tout en
pleurant. Mon brancard repart déjà, je vais dans ma chambre. Je prie en silence
pour que mes deux hommes me rejoignent rapidement….maintenant !
On me repose dans mon lit, avec mes perfs mes fils…à poil je
crois, je ne sais plus. Je ne sens pas mes jambes mais je m’en fiche je sais
que c’est normal, et je suis bien, je suis dans mon lit, je ne peux plus
tomber.
Et là, ils arrivent… Qui de ce nouveau père ou de moi a le
plus pleuré, je ne sais pas, je me souviens juste de mes bras qui s’agitaient
pour que vite, vite, on me donne mon bébé, pour qu’il vienne contre moi, sur ma
poitrine, vite, apportez-le moi, donnez-le moi !
Bébé Titi a été posé nu contre moi . ils l’ont
recouvert du drap et il est venu, tout seul, jusqu’au sein. Il a rampé, j’étais
fa-sci-née. Il a pris mon sein et s’est mis à téter, comme s’il l’avait
toujours fait. Qu'elle est bien faite, la Nature.
Il a tété un bout de temps et pendant ce temps j’ai ressenti
mes jambes bouger. On était sur un nuage. 22h15, nous étions désormais 3.
Les 6 jours qui ont suivi n’ont été qu’impatience pour rentrer chez nous vivre à 3. Je pensais que tout allait bien. Mon bébé était né en bonne santé, je n’avais eu ni dilatation ni accouchement douloureux ni épisio non désirée. J'avais un peu mal, mais comparé à d'autres mamans césarisées, il semblait que je supportais mieux la douleur que d'autres. J'enviais tout de même les nanas sous morphine.
On est rentrés et notre vie a commencé. J’ai réalisé que je
ne pouvais pas porter Titi avec le porte-bb que j’avais acheté exprès (12 ans
de portage après, je comprends que c’était aussi dû à un porte-bb non physio
acheté au supermarché, plaçant bien trop bas sur mon bassin (et mes
cuisses !) mon bébé nouveau-né, pas du tout à hauteur de bisous donc et en
plein sur la cicatrice. Cicatrice toute moche au passage, faite avec des agrafes
posées rapido. C’est pas moi qui l’ai dit, mais mon 2è obstétricien, celui qui
a réparé des choses).
J’ai senti aussi que j’avais mal, tout simplement, au
bas-ventre, tout le temps. Dans le vagin, aussi. Bref, que rien n’était comme
avant. Que si ça se trouve, je n’allais jamais retrouver ma vie de femme
d’avant.
Et puis j’ai compris qu’en fait, je n’avais rien compris.
Et
que surtout, je n’avais pas du tout accepté. Cette césarienne était en fait un
marquage au fer rouge, elle m’avait meurtrie et laissée démunie. Une naissance volée.
Une deuxième grossesse, une prise en charge ailleurs, un
dossier médical examiné m’ont fait comprendre qu’il n’y avait eu absolument
aucune raison médicale à cette césarienne. J’avais besoin de comprendre pour
accepter et il n’y avait rien à comprendre. Cette 1ère césarienne
n’était absolument pas justifiée.
La seule raison non avouée mais constatée par ma petite
enquête post-naissance était simple : deux salles de naissance, 3 mamans en travail le
même soir, dont moi. Moi celle ayant dépassé le terme (finalement contredit après) avec un travail lent, un
bébé probablement plus gros que les autres (3.920 kg au final). Ils n’ont pas
tiré au sort mais ils ont joué sur les probabilités et décidé que j’étais celle
qui avait le plus de chances de finir en césarienne, alors autant le faire tout
de suite (21h) qu’en pleine nuit (faudrait pas déranger à ce point le médecin
de garde) ou un moment où le bloc serait déjà occupé (une vraie urgence). Bref,
j’ai été un pion.
J’ai dû me reconstruire après cette césarienne. Beaucoup de
lecture sur le site de Césarine, un site important pour moi et précieux,
regorgeant d’informations et de « réconfort », qui m'a beaucoup aidée et m'a permis de commencer une démarche de reconstruction.
Une thérapie, une
psychologue vue exprès pendant ma seconde grossesse tellement j’étais
traumatisée. C’est fou comme les gens ne comprennent pas que non, « le
plus important c’est que bb soit en bonne santé », ça ne soulage
pas !
Il ne lira jamais ce billet et là comme ça je ne me souviens plus son nom, mais mon 2è obstétricien a été un ange, et m'a beaucoup aidée, c'est lui d'ailleurs qui a demandé mon dossier et m'a expliqué qu'il n'y avait pas d'explication... On m'a dit plus tard ailleurs que c'était pas bien de ne pas être solidaire comme ça dans la profession, et bien moi je trouve que SI, justement, cet obstétricien était à l'écoute de ses patientes et faisait passer l'intérêt de ses patientes avant le reste, avant le confort et la logistique..
Il va sans dire qu’une première césarienne entraîne une
chance sur 2 d’avoir une deuxième césa et que si vous passez à 2 césa vous êtes
grillée pour la 3ème…(oui, hormis un hôpital ultra marginal qui accepterait de "prendre le risque"...)
Il y a pire, il y a toujours pire , il y a mille fois
pire…mais on m’a volé cette naissance. Vraiment. Cela n’a pas été une
naissance, mais une opération qui passait bien dans le planning, et une
opération par un médecin pas concerné qui avait faim et pensait à autre chose,
et me trouvait trop enrobée. Merci le cadeau de naissance.